Les contours de la réglementation environnementale à venir applicable aux bâtiments neufs (RE2020) ont été dévoilés la semaine dernière au grand public. La loi sortira début 2021 pour une mise en application pour le résidentiel et le tertiaire de bureaux à l’été 2021. Cette réglementation est un très beau message porté au secteur de la construction neuve mais qu’en est-il des engagements en faveur du parc existant ?
Le bâtiment, en l’occurrence, la consommation énergétique de l’exploitation du parc construit, représente le deuxième secteur le plus contributeur au réchauffement climatique en France derrière les Transports. Si on y ajoute la responsabilité de la construction neuve, c’est près d’un tiers des émissions carbone du pays. Quand on sait que le parc existant se renouvelle très lentement à hauteur de moins de 1 % par an[1] et qu’une réhabilitation menée de manière éclairée peut diminuer par 3 ou 4 la facture carbone, la rénovation thermique des bâtiments représente donc un énorme gisement[2].
Il est donc logique que la rénovation énergétique du parc bâti ait été identifiée comme priorité nationale. L’ambition de la LTE et sa stratégie carbone SNBC[3] est de diminuer la consommation énergétique du parc de 38% en 2025 et de 67% en 2050 par rapport à 2010. Du côté de l’immobilier d’Entreprise, l’ensemble de la profession attend depuis 10 ans la sortie et mise en application du décret Tertiaire. Ce dernier vise de diminuer de 40% en 2030, 50% en 2040 et de 60 % en 2050 les consommations d’énergie finale de toutes surfaces commerciales de plus de 1000 m². Dans un contexte de sortie des derniers arrêtés d’application, il est malheureusement encore très décrié pour son manque d’applicabilité et la faiblesse de son logiciel de suivi OPERAT.
Du côté du parc résidentiel, cela doit notamment passer par l’accélération du volume de rénovations thermiques par an. Il a été fixé le chiffre de 500 000 logements rénovés par an à partir de 2017 puis 700 000 par an après le quinquennat. Les passoires énergétiques doivent être ciblées en priorité afin d’assurer leur disparition d’ici à 2028. Ce marché potentiel représente 14 milliards d’euros de travaux par an et pourtant ces objectifs peinent à être atteints.
Constatant des dépassements récurrents, le Conseil d’Etat[4] a tout récemment donné trois mois au gouvernement pour « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». Cette décision est historique dans la mesure où, devant l’urgence, il est désormais demandé à l’état de passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats en matière de lutte contre le changement climatique.
Ces retards sont aussi dénoncés par le Haut conseil pour le climat (HCC)[5]. Saisi par le gouvernement, il a remis en novembre 2020 un rapport sur cet axe. Intitulé « Rénover mieux : leçons d’Europe », le document de 90 pages rappelle que « la décarbonation du secteur des bâtiments est un prérequis pour l’atteinte de la neutralité carbone ». Il recommande en conséquence de mieux dépenser l’argent public pour le flécher vers des rénovations en profondeur. Cet enjeu implique deux points de vigilance qu’il s’agira de bien encadrer pour éviter les effets de transfert :
1. La préservation du capital ressource
La durée de vie conventionnelle considérée dans la future réglementation, pour un bâtiment est de 50 ans quelle que soit son activité. Toute modification, restructuration ou transformation avant 50 ans est donc considérée comme non amortie, c’est-à-dire qui possède encore de la valeur, notamment vis-à-vis de son usage. Démolir un m² qui n’a pas atteint sa fin de vie encourage donc à la destruction de valeur.
Un m² construit est constitutif d’une somme de produit et équipements qui ont tous chacun une valeur d’usage qui leur est propre et qui peut être supérieure ou inférieure à la durée de vie du bâtiment.
Par exemple, les éléments de structure, par nature sont considérés comme ayant une durée de vie longue qui peut être bien supérieure à 50 ans. A l’inverse, les éléments de second œuvre peuvent se renouveler sur une temporalité plus proche d’un bail 3/6/9 ans dans le cadre commercial.
Démolir ou évacuer en déchet un élément qui n’aurait pas atteint sa fin de vie revient à faire du gaspillage de ressources.
Néanmoins, durée de vie et durée d’usage peuvent être différentes. Sur ce point les modes et partis pris historiques peuvent être incohérents avec les recherches d’optimisations immobilières, architecturales et bien entendu environnementales de ce début de XXIe siècle.
2. La pédagogie pour limiter l’effet de rebond
L’exemple de l’Allemagne est parlant. L’Allemagne a investi des milliards depuis une décennie dans la rénovation énergétique pour réduire l’appel de puissance des bâtiments et ainsi accélérer sa sortie totale du Nucléaire. Pourtant la consommation énergétique des logements est restée à ce jour relativement stable[6].
Quelle sont les raisons de ce manque de résultat ? l’effet rebond est une des causes. Très bien illustré par Cécile Hediger dans “ma thèse en 180’”[7], l’effet rebond c’est l’idée que dans des logements mieux isolés, les occupants aient une tendance naturelle à augmenter la température de consigne. Au lieu de chauffer à 20 °C, ils préfèrent pousser à 22 °C et enlever leur pull en hiver.
L’éducation et la responsabilité des masses associées à l’amélioration des bâtiments existants préservant leur capital-ressources sont donc des leviers importants de lutte contre le réchauffement climatique. Point de nuance néanmoins, le cabinet Carbone 4[8] a montré que la responsabilité individuelle représente environ 25 % du chemin parcouru vers la neutralité. Les 75 % restants sont de la responsabilité de chaque état.
La conscience collective peut pousser l’état à accélérer à l’image des messages forts pris sur la construction neuve avec la RE2020. Espérons qu’ensemble nous allons nous engager durablement sur la trajectoire de notre responsabilité climatique sur le parc existant et atteindre la neutralité carbone en 2050.
[1] Voir 0,1% selon The Shift Project. Puisque les constructions neuves représentent 1% du parc, mais seulement 10% d’entre elles remplacent une destruction. https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2017/05/tsp_-_gt_renovation_thermique_du_batiment_v3.4.pdf
[2] Le parc résidentiel existant compte environ 34 millions de logements dont la consommation moyenne est aujourd’hui de 240 kWh/(m².an). La RT2012 correspond à une consommation en énergie primaire fixée à 50 kWh/(m².an) en moyenne, seuil qui est modulé en fonction de la localisation, des caractéristiques, de l’usage et des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments.
[3] Loi sur la transition énergétique et la croissance verte et Stratégie Nationale Bas Carbone : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/19092_strategie-SNBC-2%20en%204%20pages_%20web.pdf
[4] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/11/19/climat-le-conseil-d-etat-donne-trois-mois-au-gouvernement-pour-prouver-qu-il-respecte-ses-engagements_6060356_3244.html#xtor=AL-32280270
[5] https://www.liberation.fr/terre/2020/11/24/renovation-energetique-des-batiments-la-france-a-la-traine_1806483
[6] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/04/en-allemagne-les-renovations-energetiques-des-batiments-n-ont-pas-fait-baisser-la-consommation_6054715_3234.html
[7] https://rts.ch/play/tv/redirect/detail/8855823
[8] http://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2019/06/Publication-Carbone-4-Faire-sa-part-pouvoir-responsabilite-climat.pdf