La neutralité carbone ou l’objectif impossible ?

Aujourd’hui, nous fêtons le 5ème anniversaire des Accords de Paris. Le 12 décembre 2015, 195 délégations signaient leur engagement à contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique « nettement en dessous de +2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à +1,5 °C ». Un peu moins d’un an plus tard, l’accord était ratifié par 55 parties représentant 55 % des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES ou CO2eq) mondiales.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela implique concrètement +1,5°C ? On nous dit qu’en France, la hausse des températures est déjà de +1,2°C par rapport à 1950 et on en ressent d’ores et déjà les effets. Qu’une hausse des températures au-delà de +2°C entrainerait un emballement climatique majeur qui ne sera plus contrôlable[1]… Doit-on alors poursuivre nos efforts ? Est-ce que ce n’est pas déjà « foutu » ?

Cinq ans plus tard, nous pouvons nous satisfaire d’une grande mobilisation générale. Plusieurs pays ont d’ores et déjà adopté des réglementations concrètes visant à la réduction des émissions de GES, de nombreuses villes et territoires montrent la voie à suivre vers le zéro carbone en se fixant des objectifs adaptés à leur contexte. Certaines grandes entreprises comme Google ou Microsoft se sont engagées dans une voie de neutralité. En Europe comme en France, cet objectif est fixé à 2050.

Pourtant, les émissions ont augmenté en moyenne de +1,5 % par an sur la dernière décennie, pour atteindre un record en 2019 (59,1 gigatonnes, ou milliards de tonnes, soit +2,6 % de plus qu’en 2018). La pandémie COVID-19 aura certes contribué à réduire ponctuellement les émissions en 2020 (environ -7%[2] pour le CO2, un peu moins pour les autres GES), mais elle n’aura qu’un effet insignifiant sur le réchauffement climatique. Les experts ONUsiens ont estimé son effet à long terme d’environ 0,01 degré de réchauffement évité d’ici à 2050.

Donc l’objectif est clair. Mais pour le grand public, voir pour les professionnels, la trajectoire et les moyens pour y arriver, restent nettement plus flous…On comprend facilement qu’il faut manger moins de viande, réduire nos déplacements en avion… Mais concrètement qu’est-ce que cela implique pour le secteur immobilier[3] ? comment peut-on révolutionner notre manière de construire et tenir nos objectifs ?

Traduit en émissions de carbone, la responsabilité du bâtiment dans l’inventaire national s’élève à 32% des émissions soit 146 MtCO2eq/an sur 456 MtCO2eq/an. Pour atteindre la neutralité Carbone en 2050 et ainsi contribuer à contenir le réchauffement climatique en dessous de +1,5°C, il s’agit de passer de 456 MtCO2eq/an à 80 MtCO2eq/an soit notre capacité annuelle estimée à terme de stockage carbone.

Le très concret rapport de l’IFPEB et de Carbone 4 de juillet 2020 sur la neutralité carbone dans le secteur du bâtiment détaille les actions pour les propriétaires et les locataires dans le neuf et le parc existant à mettre en œuvre. La stratégie repose sur 3 actions : Réduire vite, réduire drastiquement et augmenter nos puits de carbone.

1/ Réduire vite

La pandémie que nous vivons actuellement est sans précédent et semble déclencher une forme d’accélération de la prise de conscience. Il s’agit au sortir de cette crise de ne pas rater l’opportunité pour la finance de prendre le bon virage et mettre en œuvre une véritable relance verte avec soutien direct et massif aux infrastructures et technologies décarbonées, réductions des subventions aux énergies fossiles, fin des centrales à charbon et  développement des solutions basées sur la nature[4]. Au niveau du secteur l’accélération de la rénovation du parc existant doit être considéré comme priorité nationale. Les scopes 1 et 2 représentent tout de même près de 20 % des émissions françaises.

Espérons que les investissements liés à la relance économique permettent de créer une véritable accélération dans ces domaines pour une réduction visible des émissions.

2/ Réduire fortement

Dans le bâtiment, la connaissance de près de 50 ans de performance énergétique associée à la décarbonation du mix énergétique et l’augmentation du mix énergétique renouvelable nous permet d’ores et déjà d’orienter le secteur dans la bonne direction.

Sur le plan des produits et équipements le chemin à parcourir est encore long… Il faudrait pouvoir diviser par deux l’impact du bâti d’ici 2030 soit en 10 ans rattraper 50 ans de connaissance sur l’énergie… Autant dire quasiment impossible en l’état actuel de nos connaissances… Les progrès des développeurs et des industriels sont pourtant manifestes, l’innovation est présente et les labels comme E+C- et BBCA ont montré la voie à prendre. La pratique bas Carbone doit maintenant massivement se généraliser. Dans la construction neuve, la RE2020 fixe le cap. Pour l’industrie, l’écoconception, la réutilisation, le recyclage doivent devenir la norme et la réduction de leur consommation énergétique l’enjeu corolaire.

3/ Augmenter nos puits de carbone

Enfin une fois le Zéro Emission Net atteint, c’est-à-dire l’élimination d’une majorité des émissions produites, il s’agit de stocker ou de contribuer à stocker le volume équivalent restant pour atteindre l’équilibre soit la neutralité. 

En cela plusieurs actions sont possibles. De nombreuses organisations s’affichent Neutres en carbone parce qu’elles ont massivement investies dans l’achat de crédits carbone (reboisement, agroforesterie…).

En l’absence de tout encadrement actuel sur ces crédits, cette démarche revient à largement développer le greenwashing, d’autant qu’elle est souvent bien plus économique que l’action de réduction elle-même.  

Premier réflexe, plus on a recours à des crédits certifiés (et proches de leur prix réel) et plus l’action d’offsetting se rapproche de la véritable augmentation des puits de carbone. Malheureusement, ces crédits sont pour l’essentiel associés à de la compensation externe.

Plus proche de l’opération, il est tout à fait possible pour le projet de contribuer à développer des puits de carbone et ainsi participer à sa compensation. Les deux champs les plus courants sont d’une part de favoriser l’utilisation de matériaux biosourcés, si possible en stockage long (structure, enveloppe…) issus de productions gérées durablement. Dans ce cas, le bois extrait de la forêt est replanté et le cycle d’exploitation permet d’arriver à un équilibre global. D’autre part, le bâtiment peut aussi contribuer à préserver un autre puit de carbone moins connu : les sols.

En effet, les sols constituent au niveau mondial le premier stock de carbone biologique – si l’on exclut les océans et les roches sédimentaires. En captant du CO2 de l’air via la photosynthèse, une plante absorbe du carbone. Si cette plante se décompose dans le sol, elle lui restitue son carbone sous forme de matière organique. Le sol s’enrichit alors de carbone, et devient plus fertile, plus résilient. Si l’on augmentait ainsi la matière organique des sols agricoles chaque année de quatre grammes pour mille grammes de CO2, on serait capable de compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre produits par la planète en un an. C’est le principe de l’initiative 4 pour 1000. Traduit concrètement, en limitant l’artificialisation des sols dans les projets neufs (et ainsi en étant conforme avec les objectifs ZAN) et en transformant ce sol regagné en sols agricoles, le secteur de la construction favoriserait la préservation d’un puit de carbone local à haut potentiel climatique mais aussi alimentaire. Associé à la création d’un parti pris paysager plus important (au sol mais aussi sur les murs et terrasses…), le secteur pérenniserait sa capacité de stockage, limiterait son impact sur les ilots de chaleur et participerait à préserver la biodiversité.

Elémentaire mon cher Watson, non ?


[1] https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability/our-insights/interactive-the-1-point-5-degree-challenge?cid=other-eml-alt-mip-mck&hlkid=3958049177564acd8d98128a1b222d9b&hctky=12541282&hdpid=4e9a43d0-cf86-4f9d-815c-003588f642c6

[2] https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-climat-5-ans-apres-accord-paris-monde-file-tout-droit-vers-3-c-rechauffement-10644/

[3] https://www.batiactu.com/edito/neutralite-carbone-batiment-peut-et-doit-etre-decarbone-60710.php?MD5email=c85c06da789ca2b74b999f2421d8bfce&utm_source=alerte_actu&utm_medium=edito

[4] https://www.lemonde.fr/climat/article/2020/12/11/baisse-record-de-7-des-emissions-de-co2-en-2020-liee-au-covid-19_6062971_1652612.html

Construction et épuisement des ressources ? La difficile équation

Le secteur de la construction dans le monde représente 50 % de la facture énergétique, 35 % de la consommation en eau, 33% des émissions de Carbone et 50 % de la consommation de matériaux et matières premières. On peut donc imaginer sans effort que le bâtiment est, va ou doit être confronté une grave crise de conscience. Il n’est plus possible de construire le flux de bâtiments neufs « business as usual » c’est l’objet de la future réglementation environnementale RE2020 en France. Et le stock existant ne peut pas continuer à être exploité sans prendre conscience de sa responsabilité ou envisager sa résilience climatique.

En réduisant la facture énergétique des bâtiments, on contribue efficacement à lutter contre le dérèglement climatique mais ce n’est désormais plus suffisant. L’action doit aussi s’intégrer dans une vision plus large. Au-delà de la consommation d’énergie, le risque de raréfaction des ressources naturelles non renouvelables nécessaires à la construction est bien présent et constitue le prochain enjeu à relever.

Depuis le début du 20ème siècle, la demande en minerais a été multipliée par 27. Les gisements métalliques à la base de notre économie moderne auront pour l’essentiel été consommés d’ici 10 ans. On estime d’ores et déjà à 2025, la fin du Zinc, 2030, la fin du Plomb et 2040 la fin du Cuivre… Sans parler de l’Argent, du Lithium et de l’Etain…

Parallèlement, environ 50 milliards de tonnes de sable et sont extraits chaque année des fonds marins. C’est la deuxième matière la plus consommée dans le monde après l’eau, et loin devant le pétrole. Dans le monde, deux constructions sur trois sont en béton. Or le sable est le 1er ingrédient du béton. De même, il représente 65% de la composition des vitrages. La pression sur cette industrie est telle qu’elle est responsable en grande partie du recul massif des plages dans le monde. Ceci est sans compter l’impact local sur la biodiversité des fonds marins où il est prélevé et l’augmentation du commerce illégal compte tenu de sa disparition faute de renouvellement.

Partant de ces constats, il est légitime de se poser la question suivante : est-il responsable de continuer à utiliser autant de béton et de métaux dans la construction ? Tout n’est pas remplaçable. Les infrastructures peuvent difficilement être construites autrement qu’en béton et la durabilité en plus de la recyclabilité des produits en acier et aluminium est incontestable. Ces produits ont donc encore de beaux jours devant eux. La solution repose à mon sens sur plus de mixité favorable à l’éclosion de filières de production responsables. A la fois dans les filières traditionnelles : généralisation des agrégats recyclés, des « bio-bétons », recyclage du verre pour les produits verrier, augmentation de l’aluminium recyclé…. Mais aussi via l’émergence rapide et désirée d’alternatives biosourcés locales et pourvoyeuses d’emplois.

La raréfaction des matières premières doit aussi nous interroger sur notre utilisation de ces matières premières. Les utilise-t-on à leur juste durée de vie, ne fait-on pas comme avec l’alimentation un gaspillage massif de nos ressources ? Nous avons évoqué dans une précédente chronique, la responsabilité du secteur en matière de déchets. En France c’est 42 millions de tonnes produit par la construction dont 20 millions uniquement sur le Grand Paris.

Les gisements ne se trouveraient-ils pas désormais dans nos déchets ? C’est le cas des métaux précieux et rares dans nos déchets électroniques (DEEE). Coté produits du bâtiment, un bonne partie des déchets DIB produits (25% des 42 millions de tonnes) possèdent encore de la valeur qu’il serait responsable et économique de continuer à exploiter. Côté vendeur, les professionnels du bâtiment qui donnent une seconde vie à des matériaux et des équipements de construction économisent les coûts de traitement des déchets en les transformant en valeur économique. Côté acheteur cela permet de profiter de matériaux et d’équipements de construction à un prix compétitif, d’une décote qui peut atteindre 50 à 70% du neuf. Il y a là de nouvelles équations économiques à élaborer… Les freins culturels et assurantiels sont encore trop nombreux pour réussir à généraliser cette pratique de bon sens. Espérons que la nouvelle loi sur l’Economie Circulaire permettra de les accélérer et les intensifier.

Enfin, utilise-t-on nos m² à leur maximum d’intensité d’usage ? Ne serait-il pas responsable de mieux rentabiliser cette utilisation de ressources ? Pourquoi démolir lorsqu’on peut réhabiliter, intensifier et redonner des années d’utilisation aux m² déjà existants ? le surcout est souvent avancé comme un frein à ces démarches. C’est surement vrai dans une vision court-termiste. Encourageons et favorisons les acteurs du plus long terme.

Reculons d’un pas pour mieux changer de perspective ?