La neutralité carbone ou l’objectif impossible ?

Aujourd’hui, nous fêtons le 5ème anniversaire des Accords de Paris. Le 12 décembre 2015, 195 délégations signaient leur engagement à contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique « nettement en dessous de +2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à +1,5 °C ». Un peu moins d’un an plus tard, l’accord était ratifié par 55 parties représentant 55 % des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES ou CO2eq) mondiales.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela implique concrètement +1,5°C ? On nous dit qu’en France, la hausse des températures est déjà de +1,2°C par rapport à 1950 et on en ressent d’ores et déjà les effets. Qu’une hausse des températures au-delà de +2°C entrainerait un emballement climatique majeur qui ne sera plus contrôlable[1]… Doit-on alors poursuivre nos efforts ? Est-ce que ce n’est pas déjà « foutu » ?

Cinq ans plus tard, nous pouvons nous satisfaire d’une grande mobilisation générale. Plusieurs pays ont d’ores et déjà adopté des réglementations concrètes visant à la réduction des émissions de GES, de nombreuses villes et territoires montrent la voie à suivre vers le zéro carbone en se fixant des objectifs adaptés à leur contexte. Certaines grandes entreprises comme Google ou Microsoft se sont engagées dans une voie de neutralité. En Europe comme en France, cet objectif est fixé à 2050.

Pourtant, les émissions ont augmenté en moyenne de +1,5 % par an sur la dernière décennie, pour atteindre un record en 2019 (59,1 gigatonnes, ou milliards de tonnes, soit +2,6 % de plus qu’en 2018). La pandémie COVID-19 aura certes contribué à réduire ponctuellement les émissions en 2020 (environ -7%[2] pour le CO2, un peu moins pour les autres GES), mais elle n’aura qu’un effet insignifiant sur le réchauffement climatique. Les experts ONUsiens ont estimé son effet à long terme d’environ 0,01 degré de réchauffement évité d’ici à 2050.

Donc l’objectif est clair. Mais pour le grand public, voir pour les professionnels, la trajectoire et les moyens pour y arriver, restent nettement plus flous…On comprend facilement qu’il faut manger moins de viande, réduire nos déplacements en avion… Mais concrètement qu’est-ce que cela implique pour le secteur immobilier[3] ? comment peut-on révolutionner notre manière de construire et tenir nos objectifs ?

Traduit en émissions de carbone, la responsabilité du bâtiment dans l’inventaire national s’élève à 32% des émissions soit 146 MtCO2eq/an sur 456 MtCO2eq/an. Pour atteindre la neutralité Carbone en 2050 et ainsi contribuer à contenir le réchauffement climatique en dessous de +1,5°C, il s’agit de passer de 456 MtCO2eq/an à 80 MtCO2eq/an soit notre capacité annuelle estimée à terme de stockage carbone.

Le très concret rapport de l’IFPEB et de Carbone 4 de juillet 2020 sur la neutralité carbone dans le secteur du bâtiment détaille les actions pour les propriétaires et les locataires dans le neuf et le parc existant à mettre en œuvre. La stratégie repose sur 3 actions : Réduire vite, réduire drastiquement et augmenter nos puits de carbone.

1/ Réduire vite

La pandémie que nous vivons actuellement est sans précédent et semble déclencher une forme d’accélération de la prise de conscience. Il s’agit au sortir de cette crise de ne pas rater l’opportunité pour la finance de prendre le bon virage et mettre en œuvre une véritable relance verte avec soutien direct et massif aux infrastructures et technologies décarbonées, réductions des subventions aux énergies fossiles, fin des centrales à charbon et  développement des solutions basées sur la nature[4]. Au niveau du secteur l’accélération de la rénovation du parc existant doit être considéré comme priorité nationale. Les scopes 1 et 2 représentent tout de même près de 20 % des émissions françaises.

Espérons que les investissements liés à la relance économique permettent de créer une véritable accélération dans ces domaines pour une réduction visible des émissions.

2/ Réduire fortement

Dans le bâtiment, la connaissance de près de 50 ans de performance énergétique associée à la décarbonation du mix énergétique et l’augmentation du mix énergétique renouvelable nous permet d’ores et déjà d’orienter le secteur dans la bonne direction.

Sur le plan des produits et équipements le chemin à parcourir est encore long… Il faudrait pouvoir diviser par deux l’impact du bâti d’ici 2030 soit en 10 ans rattraper 50 ans de connaissance sur l’énergie… Autant dire quasiment impossible en l’état actuel de nos connaissances… Les progrès des développeurs et des industriels sont pourtant manifestes, l’innovation est présente et les labels comme E+C- et BBCA ont montré la voie à prendre. La pratique bas Carbone doit maintenant massivement se généraliser. Dans la construction neuve, la RE2020 fixe le cap. Pour l’industrie, l’écoconception, la réutilisation, le recyclage doivent devenir la norme et la réduction de leur consommation énergétique l’enjeu corolaire.

3/ Augmenter nos puits de carbone

Enfin une fois le Zéro Emission Net atteint, c’est-à-dire l’élimination d’une majorité des émissions produites, il s’agit de stocker ou de contribuer à stocker le volume équivalent restant pour atteindre l’équilibre soit la neutralité. 

En cela plusieurs actions sont possibles. De nombreuses organisations s’affichent Neutres en carbone parce qu’elles ont massivement investies dans l’achat de crédits carbone (reboisement, agroforesterie…).

En l’absence de tout encadrement actuel sur ces crédits, cette démarche revient à largement développer le greenwashing, d’autant qu’elle est souvent bien plus économique que l’action de réduction elle-même.  

Premier réflexe, plus on a recours à des crédits certifiés (et proches de leur prix réel) et plus l’action d’offsetting se rapproche de la véritable augmentation des puits de carbone. Malheureusement, ces crédits sont pour l’essentiel associés à de la compensation externe.

Plus proche de l’opération, il est tout à fait possible pour le projet de contribuer à développer des puits de carbone et ainsi participer à sa compensation. Les deux champs les plus courants sont d’une part de favoriser l’utilisation de matériaux biosourcés, si possible en stockage long (structure, enveloppe…) issus de productions gérées durablement. Dans ce cas, le bois extrait de la forêt est replanté et le cycle d’exploitation permet d’arriver à un équilibre global. D’autre part, le bâtiment peut aussi contribuer à préserver un autre puit de carbone moins connu : les sols.

En effet, les sols constituent au niveau mondial le premier stock de carbone biologique – si l’on exclut les océans et les roches sédimentaires. En captant du CO2 de l’air via la photosynthèse, une plante absorbe du carbone. Si cette plante se décompose dans le sol, elle lui restitue son carbone sous forme de matière organique. Le sol s’enrichit alors de carbone, et devient plus fertile, plus résilient. Si l’on augmentait ainsi la matière organique des sols agricoles chaque année de quatre grammes pour mille grammes de CO2, on serait capable de compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre produits par la planète en un an. C’est le principe de l’initiative 4 pour 1000. Traduit concrètement, en limitant l’artificialisation des sols dans les projets neufs (et ainsi en étant conforme avec les objectifs ZAN) et en transformant ce sol regagné en sols agricoles, le secteur de la construction favoriserait la préservation d’un puit de carbone local à haut potentiel climatique mais aussi alimentaire. Associé à la création d’un parti pris paysager plus important (au sol mais aussi sur les murs et terrasses…), le secteur pérenniserait sa capacité de stockage, limiterait son impact sur les ilots de chaleur et participerait à préserver la biodiversité.

Elémentaire mon cher Watson, non ?


[1] https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability/our-insights/interactive-the-1-point-5-degree-challenge?cid=other-eml-alt-mip-mck&hlkid=3958049177564acd8d98128a1b222d9b&hctky=12541282&hdpid=4e9a43d0-cf86-4f9d-815c-003588f642c6

[2] https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-climat-5-ans-apres-accord-paris-monde-file-tout-droit-vers-3-c-rechauffement-10644/

[3] https://www.batiactu.com/edito/neutralite-carbone-batiment-peut-et-doit-etre-decarbone-60710.php?MD5email=c85c06da789ca2b74b999f2421d8bfce&utm_source=alerte_actu&utm_medium=edito

[4] https://www.lemonde.fr/climat/article/2020/12/11/baisse-record-de-7-des-emissions-de-co2-en-2020-liee-au-covid-19_6062971_1652612.html

Construction et épuisement des ressources ? La difficile équation

Le secteur de la construction dans le monde représente 50 % de la facture énergétique, 35 % de la consommation en eau, 33% des émissions de Carbone et 50 % de la consommation de matériaux et matières premières. On peut donc imaginer sans effort que le bâtiment est, va ou doit être confronté une grave crise de conscience. Il n’est plus possible de construire le flux de bâtiments neufs « business as usual » c’est l’objet de la future réglementation environnementale RE2020 en France. Et le stock existant ne peut pas continuer à être exploité sans prendre conscience de sa responsabilité ou envisager sa résilience climatique.

En réduisant la facture énergétique des bâtiments, on contribue efficacement à lutter contre le dérèglement climatique mais ce n’est désormais plus suffisant. L’action doit aussi s’intégrer dans une vision plus large. Au-delà de la consommation d’énergie, le risque de raréfaction des ressources naturelles non renouvelables nécessaires à la construction est bien présent et constitue le prochain enjeu à relever.

Depuis le début du 20ème siècle, la demande en minerais a été multipliée par 27. Les gisements métalliques à la base de notre économie moderne auront pour l’essentiel été consommés d’ici 10 ans. On estime d’ores et déjà à 2025, la fin du Zinc, 2030, la fin du Plomb et 2040 la fin du Cuivre… Sans parler de l’Argent, du Lithium et de l’Etain…

Parallèlement, environ 50 milliards de tonnes de sable et sont extraits chaque année des fonds marins. C’est la deuxième matière la plus consommée dans le monde après l’eau, et loin devant le pétrole. Dans le monde, deux constructions sur trois sont en béton. Or le sable est le 1er ingrédient du béton. De même, il représente 65% de la composition des vitrages. La pression sur cette industrie est telle qu’elle est responsable en grande partie du recul massif des plages dans le monde. Ceci est sans compter l’impact local sur la biodiversité des fonds marins où il est prélevé et l’augmentation du commerce illégal compte tenu de sa disparition faute de renouvellement.

Partant de ces constats, il est légitime de se poser la question suivante : est-il responsable de continuer à utiliser autant de béton et de métaux dans la construction ? Tout n’est pas remplaçable. Les infrastructures peuvent difficilement être construites autrement qu’en béton et la durabilité en plus de la recyclabilité des produits en acier et aluminium est incontestable. Ces produits ont donc encore de beaux jours devant eux. La solution repose à mon sens sur plus de mixité favorable à l’éclosion de filières de production responsables. A la fois dans les filières traditionnelles : généralisation des agrégats recyclés, des « bio-bétons », recyclage du verre pour les produits verrier, augmentation de l’aluminium recyclé…. Mais aussi via l’émergence rapide et désirée d’alternatives biosourcés locales et pourvoyeuses d’emplois.

La raréfaction des matières premières doit aussi nous interroger sur notre utilisation de ces matières premières. Les utilise-t-on à leur juste durée de vie, ne fait-on pas comme avec l’alimentation un gaspillage massif de nos ressources ? Nous avons évoqué dans une précédente chronique, la responsabilité du secteur en matière de déchets. En France c’est 42 millions de tonnes produit par la construction dont 20 millions uniquement sur le Grand Paris.

Les gisements ne se trouveraient-ils pas désormais dans nos déchets ? C’est le cas des métaux précieux et rares dans nos déchets électroniques (DEEE). Coté produits du bâtiment, un bonne partie des déchets DIB produits (25% des 42 millions de tonnes) possèdent encore de la valeur qu’il serait responsable et économique de continuer à exploiter. Côté vendeur, les professionnels du bâtiment qui donnent une seconde vie à des matériaux et des équipements de construction économisent les coûts de traitement des déchets en les transformant en valeur économique. Côté acheteur cela permet de profiter de matériaux et d’équipements de construction à un prix compétitif, d’une décote qui peut atteindre 50 à 70% du neuf. Il y a là de nouvelles équations économiques à élaborer… Les freins culturels et assurantiels sont encore trop nombreux pour réussir à généraliser cette pratique de bon sens. Espérons que la nouvelle loi sur l’Economie Circulaire permettra de les accélérer et les intensifier.

Enfin, utilise-t-on nos m² à leur maximum d’intensité d’usage ? Ne serait-il pas responsable de mieux rentabiliser cette utilisation de ressources ? Pourquoi démolir lorsqu’on peut réhabiliter, intensifier et redonner des années d’utilisation aux m² déjà existants ? le surcout est souvent avancé comme un frein à ces démarches. C’est surement vrai dans une vision court-termiste. Encourageons et favorisons les acteurs du plus long terme.

Reculons d’un pas pour mieux changer de perspective ?

La rénovation du parc existant : un levier logique à rapidement accélérer pour agir sur notre empreinte écologique

Les contours de la réglementation environnementale à venir applicable aux bâtiments neufs (RE2020) ont été dévoilés la semaine dernière au grand public. La loi sortira début 2021 pour une mise en application pour le résidentiel et le tertiaire de bureaux à l’été 2021. Cette réglementation est un très beau message porté au secteur de la construction neuve mais qu’en est-il des engagements en faveur du parc existant ?

Le bâtiment, en l’occurrence, la consommation énergétique de l’exploitation du parc construit, représente le deuxième secteur le plus contributeur au réchauffement climatique en France derrière les Transports. Si on y ajoute la responsabilité de la construction neuve, c’est près d’un tiers des émissions carbone du pays. Quand on sait que le parc existant se renouvelle très lentement à hauteur de moins de 1 % par an[1] et qu’une réhabilitation menée de manière éclairée peut diminuer par 3 ou 4 la facture carbone, la rénovation thermique des bâtiments représente donc un énorme gisement[2].

Il est donc logique que la rénovation énergétique du parc bâti ait été identifiée comme priorité nationale. L’ambition de la LTE et sa stratégie carbone SNBC[3] est de diminuer la consommation énergétique du parc de 38% en 2025 et de 67% en 2050 par rapport à 2010. Du côté de l’immobilier d’Entreprise, l’ensemble de la profession attend depuis 10 ans la sortie et mise en application du décret Tertiaire. Ce dernier vise de diminuer de 40% en 2030, 50% en 2040 et de 60 % en 2050 les consommations d’énergie finale de toutes surfaces commerciales de plus de 1000 m². Dans un contexte de sortie des derniers arrêtés d’application, il est malheureusement encore très décrié pour son manque d’applicabilité et la faiblesse de son logiciel de suivi OPERAT.

Du côté du parc résidentiel, cela doit notamment passer par l’accélération du volume de rénovations thermiques par an. Il a été fixé le chiffre de 500 000 logements rénovés par an à partir de 2017 puis 700 000 par an après le quinquennat. Les passoires énergétiques doivent être ciblées en priorité afin d’assurer leur disparition d’ici à 2028. Ce marché potentiel représente 14 milliards d’euros de travaux par an et pourtant ces objectifs peinent à être atteints.

Constatant des dépassements récurrents, le Conseil d’Etat[4] a tout récemment donné trois mois au gouvernement pour « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». Cette décision est historique dans la mesure où, devant l’urgence, il est désormais demandé à l’état de passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats en matière de lutte contre le changement climatique.

Ces retards sont aussi dénoncés par le Haut conseil pour le climat (HCC)[5]. Saisi par le gouvernement, il a remis en novembre 2020 un rapport sur cet axe. Intitulé « Rénover mieux : leçons d’Europe », le document de 90 pages rappelle que « la décarbonation du secteur des bâtiments est un prérequis pour l’atteinte de la neutralité carbone ». Il recommande en conséquence de mieux dépenser l’argent public pour le flécher vers des rénovations en profondeur. Cet enjeu implique deux points de vigilance qu’il s’agira de bien encadrer pour éviter les effets de transfert :  

1. La préservation du capital ressource

La durée de vie conventionnelle considérée dans la future réglementation, pour un bâtiment est de 50 ans quelle que soit son activité. Toute modification, restructuration ou transformation avant 50 ans est donc considérée comme non amortie, c’est-à-dire qui possède encore de la valeur, notamment vis-à-vis de son usage. Démolir un m² qui n’a pas atteint sa fin de vie encourage donc à la destruction de valeur.

Un m² construit est constitutif d’une somme de produit et équipements qui ont tous chacun une valeur d’usage qui leur est propre et qui peut être supérieure ou inférieure à la durée de vie du bâtiment.

Par exemple, les éléments de structure, par nature sont considérés comme ayant une durée de vie longue qui peut être bien supérieure à 50 ans. A l’inverse, les éléments de second œuvre peuvent se renouveler sur une temporalité plus proche d’un bail 3/6/9 ans dans le cadre commercial. 

Démolir ou évacuer en déchet un élément qui n’aurait pas atteint sa fin de vie revient à faire du gaspillage de ressources.

Néanmoins, durée de vie et durée d’usage peuvent être différentes. Sur ce point les modes et partis pris historiques peuvent être incohérents avec les recherches d’optimisations immobilières, architecturales et bien entendu environnementales de ce début de XXIe siècle.

2. La pédagogie pour limiter l’effet de rebond

L’exemple de l’Allemagne est parlant. L’Allemagne a investi des milliards depuis une décennie dans la rénovation énergétique pour réduire l’appel de puissance des bâtiments et ainsi accélérer sa sortie totale du Nucléaire. Pourtant la consommation énergétique des logements est restée à ce jour relativement stable[6].

Quelle sont les raisons de ce manque de résultat ? l’effet rebond est une des causes. Très bien illustré par Cécile Hediger dans “ma thèse en 180’”[7], l’effet rebond c’est l’idée que dans des logements mieux isolés, les occupants aient une tendance naturelle à augmenter la température de consigne. Au lieu de chauffer à 20 °C, ils préfèrent pousser à 22 °C et enlever leur pull en hiver.

L’éducation et la responsabilité des masses associées à l’amélioration des bâtiments existants préservant leur capital-ressources sont donc des leviers importants de lutte contre le réchauffement climatique. Point de nuance néanmoins, le cabinet Carbone 4[8] a montré que la responsabilité individuelle représente environ 25 % du chemin parcouru vers la neutralité. Les 75 % restants sont de la responsabilité de chaque état.

La conscience collective peut pousser l’état à accélérer à l’image des messages forts pris sur la construction neuve avec la RE2020. Espérons qu’ensemble nous allons nous engager durablement sur la trajectoire de notre responsabilité climatique sur le parc existant et atteindre la neutralité carbone en 2050.


[1] Voir 0,1% selon The Shift Project. Puisque les constructions neuves représentent 1% du parc, mais seulement 10% d’entre elles remplacent une destruction. https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2017/05/tsp_-_gt_renovation_thermique_du_batiment_v3.4.pdf

[2] Le parc résidentiel existant compte environ 34 millions de logements dont la consommation moyenne est aujourd’hui de 240 kWh/(m².an). La RT2012 correspond à une consommation en énergie primaire fixée à 50 kWh/(m².an) en moyenne, seuil qui est modulé en fonction de la localisation, des caractéristiques, de l’usage et des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments.

[3] Loi sur la transition énergétique et la croissance verte et Stratégie Nationale Bas Carbone : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/19092_strategie-SNBC-2%20en%204%20pages_%20web.pdf

[4] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/11/19/climat-le-conseil-d-etat-donne-trois-mois-au-gouvernement-pour-prouver-qu-il-respecte-ses-engagements_6060356_3244.html#xtor=AL-32280270

[5] https://www.liberation.fr/terre/2020/11/24/renovation-energetique-des-batiments-la-france-a-la-traine_1806483

[6] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/04/en-allemagne-les-renovations-energetiques-des-batiments-n-ont-pas-fait-baisser-la-consommation_6054715_3234.html

[7] https://rts.ch/play/tv/redirect/detail/8855823

[8] http://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2019/06/Publication-Carbone-4-Faire-sa-part-pouvoir-responsabilite-climat.pdf

La RE2020 : Réglementation progressiste ?

Le 24 novembre 2020, en France, les contours de la future réglementation environnementale applicable aux bâtiments neufs (RE2020) ont été dévoilés par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. La loi sortira début 2021 pour une mise en application pour le résidentiel et le tertiaire de bureaux au 1er juillet 2021. Dans la continuité des réglementations précédentes et de l’expérimentation E+C-, elle est ambitieuse sur le plan énergétique et pionnière dans la prise en compte du confort d’été et des émissions carbone du bâti.

Cette nouvelle réglementation est le fruit de la prise de conscience en 2015, dans l’effervescence des accords de Paris, de l’importance de la responsabilité du secteur immobilier sur le réchauffement climatique. En France elle représente près d’un tiers des émissions de CO2eq. Au sein de l’Union Européenne, le secteur contribue à 36% des émissions et 48 % dans le monde !

Cette facture est en majorité imputable au parc existant soit aux passoires énergétiques et au recours massif aux énergies carbonées pour le chauffage. Mais la construction neuve n’est pas en reste. Notamment sur la responsabilité des matériaux et produits de construction dans la facture carbone d’un m² construit. L’industrie du ciment représente à elle-seule aujourd’hui 8% des émissions de CO2eq mondiales et 5% en Europe. Pour illustrer la Chine a consommé entre 2011 et 2013 autant de ciment que les USA sur tout le 20eme siècle. Les pratiques courantes ont la vie dure !

Il existe sur ce secteur un gisement d’innovation important notamment sur les produits biosourcés et réemployés. Ce gisement a été confirmé par la stratégie Nationale Bas Carbone qui fixe pour le secteur du bâtiment des objectifs plus ambitieux (facteur 6) que la moyenne (facteur 4) d’ici 2050. Le bâtiment doit montrer la voie de la neutralité carbone. Bénéficiant par nature de moins de contraintes techniques, la construction neuve est désignée par la RE2020 comme pionnière de l’approche bas carbone.

La bonne nouvelle est que le secteur répond présent. Les architectes ont salué la sortie de la nouvelle réglementation venant confirmer leur engagement dans l’architecture bioclimatique, le confort passif et le confort d’usage. Coté industriels, il existe de nombreuses initiatives, à toutes les échelles, pour décarboner nos choix constructifs et réduire l’empreinte du bâti. On ne peut plus construire comme avant sans se préoccuper des conséquences sur le climat et au-delà des risques d’épuisement des ressources. Les plus grands promoteurs ont d’ores et déjà tous expérimentés la conception Bas Carbone et développés leurs premiers prototypes.

Cette nouvelle réglementation est donc un formidable message lancé au monde. Reste à généraliser et démocratiser ces pratiques. Espérons que cette nouvelle orientation réglementaire contribuera à accélérer la réalité des filières et faire reconnaitre le savoir-faire français et européen. Car il y a là probablement plus de réalité économique à moyen et long terme que de rentabilité à court terme.

La mesure du Carbone dans l’immobilier : ACV et FDES kézako?

Avec l’avènement de la réglementation environnementale RE2020, la mesure du carbone dans l’immobilier va devenir aussi courante que la réalisation d’un bilan thermique. La réalisation d’un bilan Carbone n’est pourtant pas une démarche récente.

Dès 2004, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) a breveté une méthode d’élaboration d’un Bilan Carbone®. Cette méthode s’adressait à tous et avait pour ambition d’offrir un cadre d’évaluation fiable de l’empreinte carbone d’un produit ou d’une activité. En cela, la méthode offrait une solution à l’obligation de déclaration réglementaire découlant des différents Grenelles. A l’étranger la méthode américaine GHG Protocol faisait et fait toujours référence.

Dans les premières versions, la base de données de l’ADEME ne comportait seulement qu’une dizaine de références sur les produits de la construction. Les acteurs de l’immobilier ont donc commencé à développer leurs propres outils internes (souvent basés sur de simples feuilles Excel…) étoffant la base de données de l’ADEME avec des données issues de bases de données internationales comme la suisse Ecoinvent. Les constructeurs notamment ont été les premiers à mesurer l’impact carbone de leurs chantiers.

Puis progressivement au début des années 2000 puis surtout à partir de 2010, les FDES (Fiches de Données Environnementales et Sanitaires ou EPD Environmental Product Declaration en anglais) se sont imposées en même temps que les logiciels d’ACV (Analyse de Cycle de Vie) ont facilités la tâche des concepteurs. L’ACV a remplacé le Bilan Carbone® de l’ADEME en offrant aux acteurs de l’immobilier une méthode scientifique normée (NF EN 15978) qui évalue et quantifie les impacts environnementaux (et donc pas que Carbone) à chaque étape du cycle de vie d’un bâtiment sur la base des FDES elles-mêmes élaborées suivant la norme NF EN 15804+A1:2014 et regroupées dans la base de données INIES.

Les FDES sont éditées pour 5 ans et peuvent être soit spécifiques soit collectives. Lorsque la FDES d’un produit n’est pas disponible, il est possible de prendre celle d’un produit équivalent ou bien il existe des données par défaut dites MDEGD. Ces dernières sont des données majorées qui peuvent remplacer théoriquement ponctuellement la donnée réelle.

Avec un tel arsenal il devrait être simple d’offrir une bonne représentation de la réalité des émissions carbone d’un m² construit ? La réalité diffère légèrement de la théorie…

Les logiciels courants et reconnus d’ACV permettent de faciliter la mise en œuvre de la méthodologie de comptabilisation du carbone. Mais c’est surtout la qualité et la disponibilité de la donnée environnementale d’une part et la qualité et l’exhaustivité de la saisie par l’utilisateur du logiciel d’autre part qui donnent une bonne représentation de l’impact environnemental du m² construit.

La réalisation d’un bilan carbone par une méthode d’ACV et par extension la mise en place un plan d’action de réduction de son empreinte est en soit peu complexe et repose avant tout sur du bon sens. Faire une ACV ce n’est jamais que multiplier des quantités par des données d’impact. Outre la formation au logiciel en lui-même c’est la compétence en bâtiment de l’utilisateur qui permet de développer une mesure Carbone de qualité (ai-je bien tout saisi ? quel produit alternatif puis prendre en référence si je n’ai pas de FDES, comment analyser mes résultats ?).

Certains détracteurs estiment que la disparité des résultats ou le manque d’encadrement dans la réalisation d’une ACV ou encore le manque de disponibilité et le résultat très aléatoire sur le niveau de poids carbone renseigné dans les FDES devrait encourager à la prudence voir à l’arrêt total de ces pratiques.  

La qualité des données est en effet critiquable. La FDES est un document illisible pour le non initié et jusqu’au 1er juillet 2017 elle n’était pas vérifiée par un tiers. Cela a provoqué une grande hétérogénéité des données et un manque de représentativité. Cependant avec l’émergence de la prise de conscience de l’impact de la construction sur la responsabilité du bâtiment, notamment poussée par des associations comme BBCA ou HQE ou après l’expérimentation E+C-, de plus en plus de professionnels se sont mis à faire des ACV, les données obsolètes ont été supprimées, un grand ménage a été fait dans les données disponibles sur les bases de données (ce qui conduit encore aujourd’hui à une faible représentativité des données sur certaines gammes de produits) mais tous les jours de nouvelles données sont publiées et nous pouvons attester d’une grande capacité d’innovation chez les industriels du bâtiment.

Dire que les données extraites de la base INIES ne sont pas représentatives de la réalité et qu’il est urgent d’attendre que la qualité de ces données soit atteinte conduirait nécessairement à ne plus challenger le secteur immobilier sur l’impact de la construction.

Heureusement la RE2020 vient tout juste d’entériner la mesure de l’impact carbone de la Construction. Les objectifs à court terme seront encore très probablement peu ambitieux, mais une courbe d’amélioration vers la neutralité va s’esquisser. La vision globale construction et exploitation est le seul moyen de bien piloter notre trajectoire. Et l’ACV et les données type FDES nous permettent de le faire.

Attendre que la qualité des données soit parfaite consiste à fermer les yeux sur le problème et ne pas prendre ses responsabilités comme concepteurs et constructeurs. La recherche de rigueur scientifique ne doit pas se faire au détriment de l’expérimentation et l’essai. Construire bas Carbone est avant tout une question de logique de concepteurs.

L’ACV, son principal bras armé.