La mesure du Carbone dans l’immobilier : ACV et FDES kézako?

Avec l’avènement de la réglementation environnementale RE2020, la mesure du carbone dans l’immobilier va devenir aussi courante que la réalisation d’un bilan thermique. La réalisation d’un bilan Carbone n’est pourtant pas une démarche récente.

Dès 2004, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) a breveté une méthode d’élaboration d’un Bilan Carbone®. Cette méthode s’adressait à tous et avait pour ambition d’offrir un cadre d’évaluation fiable de l’empreinte carbone d’un produit ou d’une activité. En cela, la méthode offrait une solution à l’obligation de déclaration réglementaire découlant des différents Grenelles. A l’étranger la méthode américaine GHG Protocol faisait et fait toujours référence.

Dans les premières versions, la base de données de l’ADEME ne comportait seulement qu’une dizaine de références sur les produits de la construction. Les acteurs de l’immobilier ont donc commencé à développer leurs propres outils internes (souvent basés sur de simples feuilles Excel…) étoffant la base de données de l’ADEME avec des données issues de bases de données internationales comme la suisse Ecoinvent. Les constructeurs notamment ont été les premiers à mesurer l’impact carbone de leurs chantiers.

Puis progressivement au début des années 2000 puis surtout à partir de 2010, les FDES (Fiches de Données Environnementales et Sanitaires ou EPD Environmental Product Declaration en anglais) se sont imposées en même temps que les logiciels d’ACV (Analyse de Cycle de Vie) ont facilités la tâche des concepteurs. L’ACV a remplacé le Bilan Carbone® de l’ADEME en offrant aux acteurs de l’immobilier une méthode scientifique normée (NF EN 15978) qui évalue et quantifie les impacts environnementaux (et donc pas que Carbone) à chaque étape du cycle de vie d’un bâtiment sur la base des FDES elles-mêmes élaborées suivant la norme NF EN 15804+A1:2014 et regroupées dans la base de données INIES.

Les FDES sont éditées pour 5 ans et peuvent être soit spécifiques soit collectives. Lorsque la FDES d’un produit n’est pas disponible, il est possible de prendre celle d’un produit équivalent ou bien il existe des données par défaut dites MDEGD. Ces dernières sont des données majorées qui peuvent remplacer théoriquement ponctuellement la donnée réelle.

Avec un tel arsenal il devrait être simple d’offrir une bonne représentation de la réalité des émissions carbone d’un m² construit ? La réalité diffère légèrement de la théorie…

Les logiciels courants et reconnus d’ACV permettent de faciliter la mise en œuvre de la méthodologie de comptabilisation du carbone. Mais c’est surtout la qualité et la disponibilité de la donnée environnementale d’une part et la qualité et l’exhaustivité de la saisie par l’utilisateur du logiciel d’autre part qui donnent une bonne représentation de l’impact environnemental du m² construit.

La réalisation d’un bilan carbone par une méthode d’ACV et par extension la mise en place un plan d’action de réduction de son empreinte est en soit peu complexe et repose avant tout sur du bon sens. Faire une ACV ce n’est jamais que multiplier des quantités par des données d’impact. Outre la formation au logiciel en lui-même c’est la compétence en bâtiment de l’utilisateur qui permet de développer une mesure Carbone de qualité (ai-je bien tout saisi ? quel produit alternatif puis prendre en référence si je n’ai pas de FDES, comment analyser mes résultats ?).

Certains détracteurs estiment que la disparité des résultats ou le manque d’encadrement dans la réalisation d’une ACV ou encore le manque de disponibilité et le résultat très aléatoire sur le niveau de poids carbone renseigné dans les FDES devrait encourager à la prudence voir à l’arrêt total de ces pratiques.  

La qualité des données est en effet critiquable. La FDES est un document illisible pour le non initié et jusqu’au 1er juillet 2017 elle n’était pas vérifiée par un tiers. Cela a provoqué une grande hétérogénéité des données et un manque de représentativité. Cependant avec l’émergence de la prise de conscience de l’impact de la construction sur la responsabilité du bâtiment, notamment poussée par des associations comme BBCA ou HQE ou après l’expérimentation E+C-, de plus en plus de professionnels se sont mis à faire des ACV, les données obsolètes ont été supprimées, un grand ménage a été fait dans les données disponibles sur les bases de données (ce qui conduit encore aujourd’hui à une faible représentativité des données sur certaines gammes de produits) mais tous les jours de nouvelles données sont publiées et nous pouvons attester d’une grande capacité d’innovation chez les industriels du bâtiment.

Dire que les données extraites de la base INIES ne sont pas représentatives de la réalité et qu’il est urgent d’attendre que la qualité de ces données soit atteinte conduirait nécessairement à ne plus challenger le secteur immobilier sur l’impact de la construction.

Heureusement la RE2020 vient tout juste d’entériner la mesure de l’impact carbone de la Construction. Les objectifs à court terme seront encore très probablement peu ambitieux, mais une courbe d’amélioration vers la neutralité va s’esquisser. La vision globale construction et exploitation est le seul moyen de bien piloter notre trajectoire. Et l’ACV et les données type FDES nous permettent de le faire.

Attendre que la qualité des données soit parfaite consiste à fermer les yeux sur le problème et ne pas prendre ses responsabilités comme concepteurs et constructeurs. La recherche de rigueur scientifique ne doit pas se faire au détriment de l’expérimentation et l’essai. Construire bas Carbone est avant tout une question de logique de concepteurs.

L’ACV, son principal bras armé.